Pierre Demaude : Le frère Laurent, un pionnier de la présence de Dieu Previous item Pierre Demaude : Le Frère...

Le frère Laurent de la Résurrection est sans aucun doute un pionnier dans le domaine de l’intimité avec Dieu. Nicolas Herman (son vrai nom) est né en 1608 en Lorraine dans une famille catholique pieuse. Il est mort à Paris en 1691.

À l’âge de 18 ans, il a vécu sa première expérience spirituelle. Il fut frappé par la beauté d’un arbre nu en hiver. Il s’émerveilla à l’idée que de la vie reviendrait en lui, que des feuilles apparaitraient, puis des fleurs et des fruits. Il s’extasia en considérant la puissance du Créateur ce qui fit naître en lui un amour particulier pour Dieu.

Ne sachant que faire de sa vie, il devint soldat. C’était l’époque cruelle de la guerre de Trente Ans. Les armées se nourrissaient de pillage et le jeune Nicolas dut en commettre aussi. Mais il vécut là une nouvelle expérience qui lui fit prendre conscience que la main de Dieu était déjà sur sa vie. Il se trouvait dans une auberge lorsque des troupes ennemies arrivèrent. Il fut arrêté et pris pour un espion. Il risquait la mort. Son assurance et la paix qui rayonnaient de sa personne le firent relâcher très rapidement.

En 1635, il fut blessé lors d’une bataille et renvoyé chez lui pour y être soigné. Pendant cette convalescence, il entretint une correspondance avec un oncle qui était dans les ordres. La religion et la foi l’attiraient de plus en plus.

En 1642, après bien des hésitations, il se présenta au couvent des Carmes à Paris. Il devint novice et reçut le nom de frère Laurent de la Résurrection. Les premières années furent difficiles. La violence de sa vie antérieure et la question du salut le troublaient beaucoup. Il vécut des moments pénibles de combat intérieur persuadé que Dieu l’avait complètement rejeté.

Il s’appliquait aux exercices spirituels et à une dévotion mariale,[1] mais rien ne l’apaisait réellement. Il fut un modèle de soumission qui acceptait de faire toutes les tâches ingrates. Il pensait ainsi payer pour ses péchés.

Il en souffrit pendant plusieurs années. Jusqu’au jour où il réalisa sa condition. Il était prêt à passer le reste de sa vie dans les tourments « s’il plaisait à Dieu d’en ordonner ainsi. » Bien plus, il prit la ferme résolution d’aimer Dieu quoi qu’il en coûte, même si celui-ci le destinait à l’enfer. Il continuerait à l’aimer malgré tout. Ce fut une révolution pour lui. Ses yeux s’ouvrirent. Ses craintes s’enfuirent. À partir de ce jour, la seule chose importante pour lui fut de rester uni à son Seigneur et d’apprendre à cultiver sa présence.

« Le monde entier ne me paraît plus capable de me tenir compagnie. Tout ce que je vois des yeux du corps passe devant moi comme des fantômes et des songes. Ce que je vois des yeux de l’âme est uniquement ce que je désire… Ébloui d’un côté par la clarté de ce divin soleil de justice, qui dissipe les ombres de la nuit. Et de l’autre aveuglé par la boue de mes misères, je me trouve souvent comme tout hors de moi. Cependant mon occupation la plus ordinaire, c’est de demeurer en la présence de Dieu avec toute humilité d’un serviteur inutile, mais pourtant fidèle. »

Il passa les quarante dernières années de sa vie dans cet état, en cherchant continuellement la présence de Dieu. C’est par la foi que Dieu se connaît et c’est exactement cela qu’il mit en pratique.

Dieu était au centre de tout ce qu’il entreprenait. Ce n’était pas un contemplatif. Il travaillait comme cuisinier. Avant de commencer la préparation de ses plats, il déclarait : « Mon Dieu puisque vous êtes avec moi, et que par votre ordre je dois appliquer mon esprit à ces choses extérieures, je vous prie de me faire la grâce de demeurer avec vous et de vous tenir compagnie. Mais afin que cela soit mieux, mon Seigneur, travaillez avec moi, recevez mes œuvres et possédez toutes mes affections. »

Et pendant son travail, il continuait à s’entretenir familièrement avec Dieu. Il disait que « le temps de l’action n’est pas différent de celui de la prière. Je possède Dieu aussi tranquillement dans le tracas de ma cuisine, où quelquefois plusieurs personnes me demandent en même temps des choses différentes, que si j’étais à genoux devant l’autel. Il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes choses à faire : je retourne ma petite omelette dans la poêle, pour l’amour de Dieu ; quand elle est achevée, si je n’ai rien à faire, je me prosterne par terre et adore mon Dieu de qui m’est venue la grâce de la faire ; après quoi je me relève, plus content qu’un roi. »

Voilà un des secrets du frère Laurent : « Tout faire par amour pour Dieu. » S’il faut laver la vaisselle, je le fais pour lui et surtout avec lui… Quelle que soit la tâche, importante ou banale, tout se fait en lui. Et ainsi nous entretenons « ce commerce de notre cœur avec lui. »

Dès qu’un travail était fini, il examinait de quelle manière il venait de le faire, avec Dieu ou sans lui ? « Si j’y trouvais du bien, j’en remerciais Dieu, si j’y remarquais des fautes, je lui en demandais pardon. Et sans me décourager je rectifiais mon esprit, et recommençais à demeurer avec Dieu comme si je ne m’en fusse point écarté. »

C’est ainsi que jour après jour, fidèlement, il développa le sens de la présence de Dieu. Il multipliait les actes de foi et d’amour envers son créateur. Il lui devint impossible de passer un seul instant sans penser à Dieu. À quelqu’un qui lui demandait s’il aimait Dieu de tout son cœur, il répondit : « Ah ! Si je savais que mon cœur n’aimait pas Dieu, je l’arracherais immédiatement. »

Il appelait « l’exercice de la présence de Dieu » le chemin le plus court et le plus facile pour arriver à la perfection chrétienne et pour se garantir du péché. Non pas que notre nature soit transformée et que nous ne péchions plus jamais. Mais qu’il était possible de vivre une vie intègre. Mais pour atteindre cette dimension et « pour s’en former l’habitude, il ne fallait que du courage et de la bonne volonté. »

Le frère Laurent n’était pas un intellectuel. Nous ne possédons de lui que quelques lettres et maximes, ainsi que le compte rendu de quelques entretiens qu’il eut avec l’abbé Joseph de Beaufort. Cependant sa sagesse impressionnait ses visiteurs. Il ne s’intéressait absolument pas aux ouvrages théologiques. Sa foi était nourrie exclusivement par la lecture des Évangiles.

Il fut souvent éprouvé dans sa santé physique. Il souffrit d’une sciatique pendant plus de 25 ans, ce qui le faisait boiter. Il subissait aussi les jalousies et humiliations des autres religieux. Mais rien n’entamait sa détermination et sa passion amoureuse. Bien au contraire, il trouvait dans les difficultés de la vie un moyen de se rapprocher encore plus de Dieu.

Il attendait avec impatience le moment de sa mort et il la prophétisa. Il annonça également qu’un frère partirait en même temps que lui. Juste avant de quitter ce monde, on lui demanda à quoi il pensait : « Je fais, ce que je ferai dans toute l’éternité ! Je bénis Dieu, je loue Dieu, je l’adore et je l’aime de tout mon cœur. » Le 12 février 1691, le frère Laurent s’endormit paisiblement. Le même jour, un autre frère tomba malade et au soir il le suivit dans la tombe.

A suivre…


[1] « Dès le commencement de son noviciat, il s’appliqua avec beaucoup de ferveur aux exercices de la vie religieuse. Sa piété fut singulière envers la Sainte Vierge. Il lui était fort dévot. Il avait une confiance filiale en sa protection. Elle était son asile dans toutes les vicissitudes de sa vie, dans les troubles, et les inquiétudes dont son âme fut agitée. Aussi l’appelait-il ordinairement sa Bonne Mère. » La Théologie de la Présence de Dieu, Cologne, 1710, p. 8. Il est à noter que dans tout ce livre, c’est la seule référence à la piété mariale du frère Laurent. Mais chose remarquable, dans aucune des lettres ou maximes, le frère Laurent ne parle, ni ne mentionne Marie. Bien au contraire, il semble même rejeter le recours aux exercices spirituels de son ordre (pourtant très mariale) pour entrer dans l’intimité avec Dieu.